Un échange tendu s’est installé entre la multinationale française Eramet et le syndicat STRIMM, après une interview de la présidente du groupe, Christel Bories, qui a exprimé des doutes sur la faisabilité industrielle de la transformation locale du manganèse au Gabon. Ce différend, au-delà de l’enjeu technique, met en lumière les tensions croissantes entre exigences économiques et ambitions souverainistes.
Dans une vidéo diffusée le 16 juin sur Ecorama, Mme Bories a jugé le projet de transformation sur place difficilement viable, évoquant un manque d’infrastructures adaptées, des coûts énergétiques élevés et une hydrologie limitée. « Le Gabon n’a pas intérêt à se tirer une balle dans le pied », a-t-elle déclaré, estimant que l’industrialisation locale nécessiterait des capacités comparables à deux fois celles de l’Europe.
Une vision contestée
La réaction du Syndicat des Travailleurs des Industries Minières et Métallurgiques (STRIMM) n’a pas tardé. Dans une lettre publique, son secrétaire général Joscelain Lebama a dénoncé un « ton condescendant » et une logique « dépassée », appelant à une rupture avec le modèle extractif historique.
Le syndicat rappelle que la décision d’interdire l’exportation de manganèse brut à partir du 1er janvier 2029, annoncée par le gouvernement, est une mesure irréversible, portée par une volonté politique affirmée de transformation locale, de création d’emplois et de montée en compétences industrielles.
Des enjeux techniques et financiers complexes
La mise en œuvre de cette politique soulève toutefois plusieurs défis : l’approvisionnement en énergie verte, le financement des infrastructures métallurgiques, et le rythme de montée en puissance de la filière.
Certains analystes évoquent un compromis progressif, avec une transformation locale partielle dès 2029 (20 à 30 % du minerai extrait), pour atteindre une valorisation complète d’ici 2035. Ce type de trajectoire, bien que non confirmé par Eramet, permettrait de concilier impératifs industriels et exigences nationales.
Sur le plan du financement, des institutions telles que la Banque africaine de développement (BAD), la SFI ou la Banque européenne d’investissement pourraient être mobilisées, à condition de garanties sur la stabilité réglementaire et le coût de l’énergie.
Un enjeu géopolitique au-delà du Gabon
Le dossier dépasse le cadre national. Le manganèse est un métal stratégique dans la fabrication de batteries LFP, dominée par la Chine. Un recentrage vers le marché asiatique, en cas de rupture avec Eramet, pourrait accentuer la dépendance de l’Europe à des approvisionnements extérieurs, au moment où elle cherche à sécuriser ses chaînes d’approvisionnement.
Au cœur de cette controverse, trois acteurs aux intérêts interdépendants : l’industriel français, l’État gabonais et les travailleurs du secteur. Pour nombre d’observateurs, l’avenir du partenariat dépendra de la capacité d’Eramet à évoluer : passer d’un rôle d’exploitant à celui de co-architecte d’une filière intégrée, fondée sur un partage équitable de la valeur ajoutée.